vendredi 18 janvier 2008

Il n'est pire fou que...

Ce soir, c'est la traduction d'un passage de Das Narrenschyff ( La Nef des fous ) que je vous propose, ouvrage de langue allemande le plus édité avant Les souffrances du jeune Werther de Goethe, et écrit par un alsacien, Sebastian Brant XD
Il s'agit d'une oeuvre dressant en vers un portrait satirique de divers types de «fous», du faux savant à l'usurier, inspiré par la Réforme, dressé sur un ton bouffon et moralisateur, tous étant destinés à être embarqués dans cette Nef des fous. Cahque portrait est accompagné d'une gravure telle que celle ouvrant cette note qui illustre le passage que je vais vous traduire. Certaines de ces gravures auraient été réalisées par Dürer himself ( je n'ai pas mené une recherche exhaustive, mais je n'ai pas encore assez de certitudes sur ce fait pour user d'un autre mode que le conditionnel ).
Je connaissais l'existance de cette oeuvre, mais c'est par hasard que j'ai eu le plaisir de tomber à Paris sur une édition en fac-similé des originaux de 1494, 1495 et 1499 chez Max Niemeyer Verlag, TÜbingen ^_^ C'est écrit en gothique, alors faut s'habituer à lire ça, et c'est pas de l'allemand moderne, donc c'est pas forcément très facile... Mais pourtant ( sans le lire couramment, je ne prétends certainement pas cela !) je me demande si je n'ai pas moins de difficultés avec cet allemand-là qu'avec le moderne ; cela pourrait venir du nombre moins important ( ainsi qu'il m'a semblé ) de verbes composés, enfer du francophone dont la langue ignore l'agglutination de sa voisine ^_^, Pour m'aider, je me suis quand même acheté une édition de poche en allemand contemporain chez Reclam ( N.B : il existe une édition française qu'on peut trouver ).
C'est le premier portrait que je vais vous traduire ici : Von unnützen Büchern - Des livres inusités. Vous pouvez en trouver une version dans le texte original ici ou . Et maintenant, place à la folie !

Le texte original :

Den vordantz hat man mir gelan
Danñ jch on nutz vil bűcher han
Die jch nit lyß / vnd nyt verstan

Von vnnutzē buchern

Das jch sytz vornan jn dem schyff
Das hat worlich eyn sundren gryff
On vrsach ist das nit gethan
Vff myn libry ich mych verlan
Von bűchern hab ich grossen hort
Verstand doch drynn gar wenig wort
Vnd halt sie dennacht jn den eren
Das ich jnn wil der fliegen weren
Wo man von künsten reden důt
Sprich ich / do heym hab jchs fast gůt
Do mit loß ich benűgen mich
Das ich vil bűcher vor mir sych /
Der künig Ptolomeus bstelt
Das er all bűcher het der welt
Vnd hyelt das für eyn grossen schatz
Doch hat er nit das recht gesatz
Noch kund dar vß berichten sich
Ich hab vil bűcher ouch des glich
Vnd lys doch gantz wenig dar jnn
Worvmb wolt ich brechen myn synn
Vnd mit der ler mich bkümbren fast
Wer vil studiert / würt ein fantast
Ich mag doch sunst wol sin eyn here
Vnd lonen eym der für mich ler
Ob ich schon hab eyn groben synn
Doch so ich by gelerten bin
So kan ich jta sprechen jo
Des tütschen orden bin ich fro
Danñ jch gar wenig kan latin
Ich weyß das vinū heysset win
Gucklus ein gouch / stultus eyn dor
Vnd das ich heyß domne doctor
Die oren sint verborgen mir
Man sæh sunst bald eins mullers thier

Et une traduction personnelle (pas fignolée du tout hein ^_^, ):

Dans cette danse je suis entraîné
Car j'ai force livre sous la main
Que je ne lis ni ne comprends

Des livres inusités

Que je me tienne à la proue du navire
C'est assurément une farce de choix ;
Cela n'est pas sans raison :
Sur mes livres je me repose,
De livres j'en ai un grand trésor
Dont je ne comprends pour ainsi dire pas un mot,
D'où je les tiens en haute estime ;
Je les garde donc soigneusement des mouches. [Notez le chasse-mouches sur l'illustration]
Quand il advient que l'on parle des Humanités
Je dis : «j'en ai à souhait, à la maison.»
Et je me sens bien contenté
D'avoir force livre sous mon nez.
Du roi Ptolémé il est dit [celui de la bibliothèque d'Alexandrie]
Qu'il avait tous els livres du monde
Et qu'il tenait cela pour un grand trésor
Mais il n'en a tiré nulle morale
Et nul savoir ne lui en est venu.
Pareil à lui j'ai force livre
Et je lis encore moins que lui.
Pourquoi voudrais me casser la tête
Et me charger de savoirs ?
Celui qui veut étudier devient un fantasque !
Je préfèrerais bien plutôt être un monsieur,
Et payer quelqu'un qui apprenne pour moi !
Mais si j'ai un esprit grossier,
Toutefois quand je suis parmi les lettrés
Je puis dire «bien sûr !», «tout à fait !»
De l'Ordre Teutonique je m'éjouit
Car je ne suis que bien peu apte au latin.
Je sais que «vinum» signifie «vin»,
«Gucklus» un coucou [je subordore le cocu, mais c'est encore à contrôler], «stultus» un imbécile
Et que je suis un «domine doctor» !
Mes oreilles sont dissimulées
De peur que l'on aperçoive celles de l'animal du meunier.

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