jeudi 17 janvier 2008

Une expérience traumatisante

Ah que j'ai eu l'air con !
Car je sais pas mes conjugaisons
C'que j'ai pas su résoudre
C'est l'subjonctif de moudre !
[Sur l'air de Je suis tombé par terre... ]

Ce que ces grains de café illustrent, c'est une expérience aussi traumatisante qu'humiliante qui m'est arrivée à cause d'eux ( enfin, peut-être pas d'eux exactement, mais si ce n'est eux, c'est donc leurs frères ). Ce blog va donc me servir à moi de catharsis, et à vous, chez lecteur, à éviter de vivre la même terrible expérience que votre serviteur.

Un beau jour, j'arrivais tout heureux dans un lieux que je partage avec d'autres, et que nous partageons avec une machine à café, serrant dans mes bras un bocal contenant de cette précieuse poudre caféinée que 'javais moulu moi-même. Car, vil scélérat, j'avais dépouillé mes parents de leur bon café en grain, pour me le moudre et me le boire entre collègue sur notre machine à café.
Une fois que je leur eu expliqué les circonstances auxquelles nous devions cette félicité de boire un caé aux 7 arabicas plutôt que de la merdre, vint le moment de leur expliquer qu'il ne faudra pas jeté le pot une fois vide, car quand il n'y en aurait plus, il y en aurait encore, pour peu que chez moi soient moulus les grains me restant.
Et là, soudain, brutal et inattendu, ce fut le drame. Par un enchaînement sémantique catastrophique, la phrase terrible qui passa la barrière de mes dents me mena tout droit sur le subjonctif présent, première personne, de moudre. «Pour qu'on aie encore de ce café enchanteur, il faut que je le...». Et là, ce fut le trou, que dis-je le trou, le gouffre béant, l'abysse, le néant absolu ( non non, je vous rassure, vous n'êtes pas dans Le Note sans fin ). Impossible de trouver la forme de cette saloperie !!! Impossible !!! Je m'embrouillais, je bafouillais, je voyais la stupeur, le désarroi, même la crainte se manifester sur le visage de mes collègues jusqu'à pendus à mes paroles d'or, prophétesse de félicités caféinées à venir, et j'achevais ma phrase dans un borgborygme lamentable, seule échappatoire que je pu trouver. Oui mes amis, ce fut une bien terrible journée...

A peine rentré chez moi, je me précipitais dans les pages de ma chère Bescherelle, mon unique recours dans ces instants d'angoisse conjugaux ( ah non ? on dit pas ça pour les problèmes de conjugaison ?!). Et là, il m'apparut que le fin mot de l'énigme était que ce café, il eut fallu que je le moulusse. Heu... non ! Que ce café, il faut que je le moule. Oui oui, que je le moule. Etrange non ?
Pas tant que ça finalement, car j'aurais pu prévoir cette forme si j'avais su rentabiliser par anticipation une de me récentes acquisitions, asçavoir le 12e tome du Littré ^0^ Parce qu'évidemment, une fois que j'ai eu su quel était la bonne forme du subjonctif de moudre, je me suis demandé pourquoi à ce compte-là il fallait que je couse plutôt que je ne coule, et pourquoi il aurait fallu que j'absolve plutôt que je n'absoule ;-)

Pour comprendre, il va nous falloir porter un peu de lumière sur une affaire sordide, un crime inouï : le lâche assassinat du latin par le français. Une affaire qui glace le sang des plus endurcis ( pensez par exemple aux perspectives qu'elle ouvre : la langue la plus littéraire d'un siècle donné découle de celle des péquenots des siècles précédents ! horrible non ?). Mais commençons par la recette pratique donnée par Littré :

[...] d'où mouldre, transformé en moudre ; le d, qui tombe devant les voyelles ( moulant, moulu), a l'air de se substituer l'l, et , réellement, il ne fait que la mettre à nu. [ je vous rappelle que sur ce blog l restera féminine ;-) ] .

Concrètement, cela veut dire que si en ajoutant au radical moud- les terminaisons usuelles de la trosième conjugaison vous tombez sur une suite d+voyelle, alors vous remplacerez le d par une l. Donc «que je moud-e» donnera «que je moule».
Mais alors d'où vient ce d ? Il s'agit d'une consonne épenthétique, vous allez comprendre ( si si, je vous assure !). L'ancêtre de moudre est le verbe latin de même sens molgere. Comme j'ai la flemme de rechercher les codes ASCII pour les diacritiques, je vous donne les quantités et accentuation en long et en large : le o porte l'accent, le premier e est originellement long mais est ramené populairement à une quantité courte.
La phonétique historique du français ( lire «comment on a de plus en plus mal prononcé les choses au cours des siècles» ) nous apprend alors que vers le IIIe siècle après Jésus-Christ ce e court disparaît de la prononciation. On se retrouve donc ( je vous épargne les détails ) avec quelque chose du style «mol'ré». Essayez un peu de me prononcer ça ! Dans vos efforts désespérés pour ce faire, n'entendez-vous pas presque comme un d ? Et voilà comment un d dit épenthétique apparaît, qui va faciliter l'articulation du mot et nous donner un «moldré», puis plus tard «moudreuh» ( XIIe siècle pour les petits curieux ). Et bien sûr ce d qui naît de ce contact de deux consonnes n'a pas de raison d'apparaît quand l'évolution phonétique donnera une succession l+voyelle, d'où la règle de Littré. Pour vous donner un autre exemple de consonne épenthétique et achever de vous convaincre, je vous propose le passage de «numeru(m)» à «nombre», via «num'ru», d'où «numbru». ^_^

Voili-voilà ! Qui aurait cru que de simples grains de café pourraient mener si loin ? ^0^

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