dimanche 2 décembre 2007

Aboli bibelot d'inanité webique

Le titre de cette note était ma première idée de nom pour ce blog, alors il fallait bien que je finisse par vous parler de ce qui l'avait suscité. En l'occurrence il s'agit du «Sonnet en -yx», aussi connu comme le «Sonnet allégorique de lui-même», de Stéphane Mallarmé. Pour moi un pur chef-d'oeuvre, un des sommets de la poésie française tous temps confondus. Et, ce qui n'ôte rien, bien au contraire, obscur et cryptique au possible ! Seul poème de la langue française à ma connaissance à avoir ses rimes en -yx aussi XD Vous en connaissez beaucoup, vous, de mots qui finissent avec cette sonorité? ^_^

Et puis c'est dans ce sonnet que l'on rencontre le ptyx. Ptyx ! Quel beau mot, et quel bel objet pour aller puiser dans le Styx ! Objet dites-vous ? Mais en est-ce seulement un ? Après tout la seule autre occurrence du mot est sous forme de nom propre dans un vers du poème Le Satyre de La Légende des siècles de Victor Hugo :


Bos, l'aegipan de Crète ; on entendait Chrysis,
Sylvain du Ptyx que l'homme appelle Janicule,
Qui jouait de la flûte au fond du crépuscule ;



Et si c'est un objet, lequel est-ce ? A sa source on peut trouver le mot du grec ancien ptyx, ptychos qui, fait amusant, n'apparait jamais au nominatif et rarement à l'accusatif (peut--être d'ailleurs sa propre étymologie est-elle intéressant ? le cas échéant je vous en reparlerai), et qui singifie «le pli», celui de la roche, d'une anfractuosité, d'un organe ou d'un coquillage. Alors, une coquille de bivalve en guise de coupelle ?

Je vais tenter de vous éclairer un peu ce poème, il y fait nuit après tout, en vous donnant des éléments des deux interprétations entrecroisées qu'on peut en faire. Lycée en quête d'inspiration pour un commentaire de texte, ce travail est copyright de moi-même et je te maudis par les cercles d'Hadès si tu pompires sans comprendre ; que ton prof t'interroge sur ton commentaire si tu passes outre ! Mais d'abord, savourons-le doucement (


Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,
L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,
Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de cinéraire amphore

Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,
Aboli bibelot d'inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s'honore.)

Mais proche la croisée au nord vacante, un or
Agonise selon peut-être le décor
Des licornes ruant du feu contre une nixe,

Elle, défunte nue en le miroir, encor
Que, dans l'oubli fermé par le cadre, se fixe
De scintillations sitôt le septuor.



Pour comprendre ce que décrit ce poème, partons de la deuxième strophe. Ce qu'elle nous décrit concrètement, c'est un salon vide, dont le propriétaire est absent ( peut-être est-il mort ?), ce qui fait régner sur celui-ci une atmosphère de désolation renforcée par la désormais absence de tout ptyx sur les crédences de ce salon. Vu que nous sommes dans un salon, parmi les sens divers du mot crédence, il faut le voir soit comme toute la partie supérieure d'un buffet, soit comme la partie intermédiaire entre les parties inférieure et supérieure d'un tel buffet, où l'on peut alors exposer de la vaisselle par exemple ( à ce stade divers lecteurs que je connais devraient s'être fait une idée de la chose ;-).

Sans ce salon une fenêtre s'ouvre vers le Nord, par laquelle on voit le Soleil se coucher, faisant place aux sept étoiles de la Grande Ourse. Vis-à-vis de cette fenêtre se trouve un miroir reflètant la scène, sur le cadre ouvragé duquel des licornes aux naseaux soufflant des flammes vainquent une nixe, c'est à dire un esprit des eaux dans la mythologie germanique.


Ceci nous offre la transition vers l'interprétation symboliste de ce texte, où nous remontons à la première strophe. Peut-être peut-on s'imaginer sur une des parties verticales du cadre de notre miroir l'Angoisse personnifiée sous les traits d'une belle femme qui, le bras levé bien haut, la paume de la main tournée vers le haut soutient quelqu'objet qui ne réfléchit par la lumière du soir ?

Mais peut-être est-ce plutôt l'angoisse du poète en quête d'inspiration qui soutient celui-ci dans son errance dans la nuit noire de la création. Le rêve vespéral n'est-il pas alors le poème lui-même que sur le soir l'auteur tente de réaliser, mais que son angoisse annihile, en dépit de ses efforts renouvellés, pareils au Phénix qui toujours renaît de ses cendres. L'angoisse de ne pas exprimer ses songes le pousse à poursuivre ses efforts, mais cette même angoisse les rend vains. Et si nulle amphore ne recueille de cendres de Phénix, puisqu'il n'en est point, nulle amphore ne recueille non plus les rêves éteints qui rejoignent le néant.

Si dans cette première strophe les rêves sont encore nombreux ( maint, de la famille du manche allemand, veut dire «très beaucoup»), il n'en reste plus rien dans la deuxième. Le salon est vide. Le ptyx que l'on pensait être une coquille de coquillage ne désigne-t-il pas en fait le poème recherché dans la première strophe ? N'a-t-il alors pas été mené à terme, puisque c'est un bibelot aboli, c'est à dire supprimé ? De toute façon, qu'est-ce qu'un poème ? Avec sa métrique et ses rimes, rien d'autre qu'un simple bibelot qui joue sur des sonorités dépourvues de sens propre, inanes en un mot.

Ou peut-être que finalement ce poème a été écrit ? Peut-être est-ce même celui que nous sommes en train de lire ? L'inanité sonore, ne sont-ce pas alors ces rimes en -yx, si étrangères aux sonorités de notre langue ? Et jouer sur celles-ci, est-ce alors faire oeuvre de poésie, ou bien forger quelque bibelot sans grande signification ? Voire même sans aucune signification, un pur Néant. Mais un néant que du moins l'on entend, un néant sonore.

Il faudrait peut-être le demander à l'auteur. Mais celui-ci s'est suicidé, emportant son poème avec lui. Et le poème est alors cette chimère qui se meurt dans ce miroir qu'à la fois elle compose et qui lui renvoie une image d'elle-même.


On pourrait encore dire de nombreuses choses «simples» sur ce poème, et par exemple noter le champ lexical de la disparition et de la mort dans celui-ci ( vide, nul, aboli, Styx, néant -pour la seule 2e strophe), mais ic ça fait maintenant longtemps que l'or a agonisé, alors je vais me contenter de conclure en étalant encore un peu mes vices, au bénéfice d'un visiteur germanique qui se serait égaré sur ce blog ( le pauvre !). Bien que Jules Romain ait d'une langue de vipère dit que Mallarmé était intraduisible même en français, je me suis trouvé à Francfort une version bilingue français-allemand des poèmes de Mallarmé qui me semble fort bien faite. On sent l'intérêt de l'auteur des traductions pour le poète, et bien qu'une traduction oblige à renoncer à certaines des ambiguïtés de la version originale, suffisamment en est conservé pour que la version allemande soit très appréciable ! ( elle pourrait aussi éclairer les francophones sur certains passages ;-p Cousin germain ( désolé mais celle-là je devais la faire !), voici une photo de la bête ! Quitte ce blog inane et va l'acheter, va !

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