samedi 8 décembre 2007

D'un art majeur à un art mineur et vice-versa

A la suite de sa note sur le poème allégorique de lui-même de Mallarmé, l'auteur de ce blog voudrait maintenant glisser vers une chanson de Gainsbourg, dont il est grand amateur ( au sens large, il apprécie les chansons qu'il a écrites pour Jane Birkin, il aime le petit Pull marine, et il se délecte dans les bouses interprétées par Bambou). La raison principale de ce glissement est que force chansons de Gainsbourg sont riches en allitérations et rimes étranges ( certaines de ses chansons ne semblent même composées que comme prétextes à celles-ci !). Les lecteurs mythridatisés au venin de ce blog, et qui auront donc le courage de pousser fort avant dans cette note, trouveront un autre point de passage de Mallarmé à Gainsbourg. Enfin, après avoir parlé des sentiments et de la fin de ceux-ci, il est temps que le perpétreur ( « - On dit ça ? - Général, quand on est triste, tout est permis» ) de ce blog parle un peu de sexe... solitaire, pour rester un peu dans l'esprit ! Mais avant de pousser plus avant dans ce terrain glissant ( hum... était-ce vraiment la manière idéale de dire ? ^_^, ), commençons par voir de quoi il va être question. Tirées de L'Homme à tête de choux, voici les

Variations sur Marilou

Dans son regard absent
Et son iris absinthe
Tandis que Marilou s'amuse à faire des vol
Utes de sèches au menthol
Entre deux bulles de comic strip
Tout en jouant avec le zip
De ses Levi's
Je lis le vice
Et je pense à Carol Lewis

Dans son regard absent
Et son iris absinthe
Tandis que Marilou s'évertue à faire des vol
Utes de sèches au menthol
Entre deux bulles de comic-strip
Tout en jouant avec son zip
A entrebailler ses Levi's
Dans son regard absent et son iris
Absinthe dis-je je lis le vice
de baby-doll
Et je pense à Lewis
Caroll

Dans son regard absent
Et son iris absinthe
Quand crachent les enceintes
De la sono lançant
Accords de quartes et de quintes
Tandis que Marilou s'esquinte
La santé s'éreinte
A s'envoyer en l'air...
Lorsqu'en un songe absurde
Marilou se résorbe
Que son coma l'absorbe
En pratiques obscures
Sa pupille est absente
Mais son iris absinthe
Sous ses gestes se teinte
D'extases sous-jacentes
A son regard le vice
Donne un côté salace
Un peu du bleu lavasse
De se paire de Levi's
Et tandis qu'elle s'exhale
Un soupir au menthol
Ma débile mentale
Perdu en sous exil
Physique et cérébral
Jouer avec le métal
De son zip et l'atoll
De corail apparaît
Elle s'y coca-colle
Un doigt qui en arrêt
Au bord de la corolle
Est pris près du calice
Du vertige d'Alice
De Lewis Caroll

Lorqu'en songes obscurs
Marilou se résorbe
Que son coma l'absorbe
En des rêves absurdes
Sa pupille s'absente
Et son iris absinthe
Subrepticement se teinte
De plaisirs en attente
Perdue dans son exil
Physique et cérébral
Un à un elle exhale
Des soupirs fébriles
Parfumés au menthol
Ma débile mentale
Fait tinter le métal
De son zip et Narcisse
Elle pousse le vice
Dans la nuit bleu lavasse
De sa paire de Levi's
Arrivée au pubis
De son sexe corail
Ecartant la corolle
Pris au bord du calice
De vertigo Alice
S'enfonce jusqu'à l'os
Au pays des malices
De Lexis Caroll

Pupille absente iris
Absinthe baby-doll
Ecoute ses idols
Jimi Hendrix Elvis
Presley T-Rex Alice
Cooper Lou Reed les Roll
Ing Stones elle en est folle
Là-dessus cette Narcisse
Se plonge avec délice
Dans la nuit bleu pétrole
De sa paire de Levi's
Elle arrive au pubis
Et très cool au menthol
Elle se self-contrôle
Son petit orifice
Enfin poussant le vice
Jusqu'au bord du calice
D'un doigt sex-symbole
S'écartant la corolle
Sur fond de rock'n'roll
S'égare mon Alice
Au pays des malices
De Lewis Caroll.

Ah ces allitérations ! Cette sensation capiteuse et obsédante que, couplées à la musique et à l'effet de va-et-vient que produisent naturellement les variations, elles contribuent à créer. Et ce mot si entêtant pour décrire sa pupille : absinthe (vert ! pour les plus angulaires -c'est une métonymie pour «obtus»- d'entre vous).
Ce vice de baby-doll est aussi une jolie trouvaille et un joli glissement, puisque Baby Doll est un film d'Elia Kazan assez trouble en dépit de son époque ( les années 50 tout de même, et en Amérique en plus !) puisqu'il y est somme toute question de la sexualisation d'une femme-enfant. Ou peut-être de sa sexualité à elle ? De toute façon, en matière de vice de baby-doll, c'est tout aussi bien le vice qui se porte sur la baby-doll.
En évoquant Lewis Caroll, on progresse encore d'un pas dans cette direction. Par exemple si l'on pense aux attirances de celui-ci pour une jeune Alice ( vous lirez jamais plus ses histoires pareil désormais ! ). Mais là, tout est dans le non-dit, ce qui renforce la tonalité de cette chanson.
En un couple, nous avons donc un double glissement très intéressant. Double car à la base Marilou est une adulte, jeune certe peut-être, mais une adulte, que le narrateur rencontre dans le salon de coiffure où elle travaille. Le détournement de mineure ce sera pour plus tard, avec You're under arrest, Samantha et ses 13 ans. Ici l'illégalité, si l'on excepte l'usage des drogues, n'interviendra que quand le narrateur tuera Marilou à coup d'extincteur lol. Mais revenons à cette histoire de glissement : le narrateur voit une Marilou adulte se masturber, ce qui lui évoque une femme-enfant, femme-enfant Lewis Caroll, la boucle est bouclée et l'on associe le spectacle à l'auteur d'Alice ( justement !).
Et cette sublime liaison entre la pupille absente et l'iris absinthe ! Ach, les mots me manquent pour décrire la puissance de cette harmonie. Je vois littéralement ce qui y est dit. Alors puisque les mots me manquent, je vais els remplacer par du pédantisme, en vous rappelant que l'absinthe rendait, ou était réputée à force on ne sait plus très bien, rendre fou.
Et pour continuer dans le pédantisme, notons que s'il est question de se coca-coller un doigt, c'est qu'en partant d'un atoll, on arrive vite en Amérique par les essais nucléaires ( enfin, moi je le vois comme ça, mais peut-être qu'à l'époque l'association d'idées marchait sur d'autres bases -pas forcément militaires- ).
Pour conclure, s'il n'est pas besoin que je vous fasse un dessin sur la quand même séduisante image de l'atoll et du corail, admirez-moi ce balancement entre l'atoll ( qui appelle corail) et le calice par le truchement ( je suis assez content de gâcher tout l'effet avec ce mot disharmonieux ^_^) de la corolle.

Plus haut dans cette note, je vous parlais d'atmosphère capiteuse. C'est que pendant que le narrateur pense à Caroll Lewis, moi, c'est à Baudelaire que je pense. Aux Fleurs du mal, et calices et corolles de celles-ci. C'est le parfum de moite torpeur de ces fleurs de lotos que je vous invite maintenant à respirer :

FEMMES DAMNEES

Comme un bétail pensif sur le sable couchées,
Elles tournent leurs yeux vers l’horizon des mers,
Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapprochées
Ont de douces langueurs et des frissons amers.

Les unes, cœurs épris de longues confidences
Dans le fond des bosquets où jasent les ruisseaux,
Vont épelant l’amour des craintives enfances
Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux ;

D’autres, comme des sœurs, marchent lentes et graves
A travers les rochers pleins d’apparitions,
Où saint Antoine a vu surgir comme des laves
Les seins nus et pourprés de ses tentations ;

Il en est, aux couleurs des résines croulantes,
Qui dans le creux muet des vieux antres païens
T’appellent au secours de leurs fièvres hurlantes,
O Bacchus, endormeur des remords anciens !

Et d’autres, dont la gorge aime les scapulaires ,
Qui, recelant un fouet sous leurs longs vêtements,
Mêlent, dans le bois sombre et les nuits solitaires,
L’écume du plaisir aux larmes des tourments.

O vierges, ô démons, ô monstres, ô martyres,
De la réalité grands esprits contempteurs ,
Chercheuses d’infini, dévotes et satyres ,
Tantôt pleines de cris, tantôt pleines de pleurs,

Vous que dans votre enfer, mon âme a poursuivies,
Pauvres sœurs, je vous aime autant que je vous plains,
Pour vos mornes douleurs, vos soifs inassouvies,
Et les urnes d’amour dont vos grands cœurs sont pleins !

Ami lecteur, pauvre victime de ce blog insensé, je le regrette pour toi mais cette note ne s'achèvera pas chastement, car pour achever de relier Gainsbourg à Mallarmé, il nous faut maintenant délaisse Baudelaire pour rejoindre Henry Miller. Son clone humbertien en a marre de Samantha, mineure noire toxicomane du Bronx. Il va bientôt boucler son baise-en-ville et partir pour la Légion, où il rencontrera son légionnaire. Mais pour le moment, il vient d'avoir un petit problème avec son Glass securit ( i.e il a craqué son préservatif à un moement peu opportun). Oui, c'est tout de suite plus classieux. Petit aparté à ce propos ( vous devez commencer à prendre l'habitude de mes digressions non ? si j'avais pas tant d'inepties à raconter, j'arriverais peut-être à installer des ambiances dans mes notes ^_^, ) : une journaliste du Monde avait une fois utilisé cet adjectif pour dire «élégant, classe» ; autant dire que son propos n'avait guère atteint son but recherché. Mais revenons à nos futurs légionnaires ( «tiens! t'aurais du boud... » excusez-moi o^_^o ). Il semble que l'on puisse être légionnaire et lettré dans le monde gainsbourien, puisque le notre sort un petit carnet, où il a recopié une poésie de Mallarmé :

J'ouvre mon lexique
Mallarmé dixit
je cite :
Et, dans ses jambes où la victime se couche,
Levant une peau noire ouverte sous le crin,
Avance le palais de cette étrange bouche
Pâle et rose comme un coquillage marin.

Rares sont les poèmes de Mallarmé un tant soit peu intelligibles au commun des mortels ( bien qu'extrême dans son genre, le sonnet en -yx est quand même assez illustratif du style !) ; mais pour une fois qu'il en est un qui le soit, il est érotique ! Savourons-le donc dans son entier, et concluons cette note sur cet amoureux combat sapphique :

Une négresse par le démon secouée
Veut goûter une enfant triste de fruits nouveaux
Et criminels aussi sous leur robe trouée
Cette goinfre s’apprête à des rusés travaux :

A son ventre compare heureuses deux tétines
Et, si haut que la main ne le saura saisir,
Elle darde le choc obscur de ses bottines
Ainsi que quelque langue inhabile au plaisir.

Contre la nudité peureuse de gazelle
Qui tremble, sur le dos tel un fol éléphant
Renversée elle attend et s’admire avec zèle,
En riant de ses dents naïves à l’enfant ;

Et, dans ses jambes où la victime se couche,
Levant une peau noire ouverte sous le crin,
Avance le palais de cette étrange bouche
Pâle et rose comme un coquillage marin.

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