lundi 17 décembre 2007

Le romantisme et la vie

Ce soir je vous présente un poème des Contemplations de Victor Hugo ( mais avais-je seulement besoin de le préciser ?!), tiré du quatrième livre de ce recueil, Pauca Meae, consacré à sa fille Léopoldine, morte noyée avec son époux peu après leur mariage.
Pour ce que j'en ai lu, ce poème opposerait pour Hugo le soi qui désespère au soi qui croit et espère. Mais pour moi, il illustre une opposition entre l'imagination ( les aspirations romantiques si vous voulez) qui magnifie, et la réalité immuables des faits. Si on veut se gâcher le poème, on peut d'ailleurs trouver que de ce point de vue il pontifie quelque peu. Mais attendons la fin de la note pour cela ( il est un temps pour tout et c'est seulement post blogum qu'animal triste).


A quoi songeaient les deux cavaliers dans la forêt

La nuit était fort noire et la forêt très sombre.
Hermann à mes côtés me paraissait une ombre.
Nos chevaux galopaient. A la garde de Dieu !
Les nuages du ciel ressemblaient à des marbres.
Les étoiles volaient dans les branches des arbres
Comme un essaim d'oiseaux de feu.

Je suis plein de regrets. Brisé par la souffrance,
L'esprit profond d'Hermann est vide d'espérance.
Je suis plein de regrets. O mes amours, dormez !
Or, tout en traversant ces solitudes vertes,
Hermann me dit : «Je songe aux tombes entr'ouvertes !»
Et je lui dis : «Je pense aux tombeaux refermés !»

Lui regarde en avant : je regarde en arrière,
Nos chevaux galopaient à travers la clairière ;
Le vent nous apportait de lointains angelus;
Il dit : «Je songe à ceux que l'existence afflige,
A ceux qui sont, à ceux qui vivent. - Moi, lui dis-je,
Je pense à ceux qui ne sont plus !»

Les fontaines chantaient. Que disaient les fontaines ?
Les chênes murmuraient. Que murmuraient les chênes ?
Les buissons chuchotaient comme d'anciens amis.
Hermann me dit : « Jamais les vivants ne sommeillent.
En ce moment, des yeux pleurent, d'autres yeux veillent.»
Et je lui dis : « Hélas! d'autres sont endormis !»

Hermann reprit alors : «Le malheur, c'est la vie.
Les morts ne souffrent plus. Ils sont heureux ! j'envie
Leur fosse où l'herbe pousse, où s'effeuillent les bois.
Car la nuit les caresse avec ses douces flammes ;
Car le ciel rayonnant calme toutes les âmes
Dans tous les tombeaux à la fois !»

Et je lui dis : «Tais-toi ! respect au noir mystère !
Les morts gisent couchés sous nos pieds dans la terre.
Les morts, ce sont les coeurs qui t'aimaient autrefois !
C'est ton ange expiré ! c'est ton père et ta mère !
Ne les attristons point par l'ironie amère.
Comme à travers un rêve ils entendent nos voix.»


Dans les Contemplations les bois sont souvent sombres et profonds, avec des significations certes différentes selon le contexte ; je vous parlerai d'une autre à l'occasion.
Regardons un peu comme dans chacune des premières strophes et entre les deux dernières s'opposent d'une part un romantisme songeur mais qui regarde vers l'avenir, d'autre part un triste réalisme qui ne voit que le passé ; et espère en Dieu ( oui, je sais, je venais de parler de réalisme...).

La première strophe pose encore les choses. Le décor est résolument romantique : il fait nuit noire, nous sommes dans des bois profonds en compagnie de deux cavaliers qui chevauchent à bride abattue, dans le ciel des nuages qu'éclaire la Lune, et des étoiles qui brûlent. Dans l'imagerie romantique il est souvent des cavaliers qui chevauchent à travers la tempête ou au loin. Mais généralement ils sont seuls. Hermann serait-il donc effectivement un double hugolien ? Notons aussi la mention de Dieu, même si ce n'est qu'au travers d'une expression toute faite, je vous le concède.
A début de la strophe suivante, admirez-moi comme la première phrase se termine à l'hémistiche, quelle force cela lui donne. Regardez comment le début de cette strophe clôt la précédente. Je suis plein de regrets. Et il n'est rien à ajouter. Aussi la suite du vers et le suivant sont-ils consacrés aux pensers d'Hermann. Puis, Hugo répète le seul sien : je suis plein de regrets. Mais cette fois il complète, et l'on sent bien que ces amours-là ne dorment pas d'un sommeil dont on se réveille. Et la suite de la strophe nous le précise bien, puisque les deux voyageurs pensent au tombeau. Mais là où Hermann pense à ceux qui (l') accueilleront bientôt, Hugo, lui, pense à ceux qui accueillirent ses êtres chers ( et pas seulement Léopoldine, l'ange expiré désignant un autre enfant mort à 3 mois d'après les notes de mon édition).
Cette opposition entre le passé et l'avenir, nous la voyons reprise au premier vers de la strophe suivante, et prolongée le long de celle-ci. Notez l'opposition entre l'envolée d'Hermann, et la simple phrase de Hugo. Notez aussi la présence de l'angélus dans le lointain qui, tout en consistutant un élément ramenant à Dieu, renforce l'idée de solitude - nous sommes loin de toute autre présence humaine, puisque ces angélus sont lointains - et vient préciser l'heure, 18h00, et par là-même la saison - l'Automne ou l'Hiver - puisqu'il faut qu'il fasse déjà nuit pour qu'on voie les étoiles.
Les vers qui ouvrent la strophe suivante sont beaux. Par deux fois c'est la nature qui parle, mais par deux fois le narrateur est sourd à son langage. Admirez comment cela est évoqué : phrase déclarative : la nature parle, césure à l'hémistiche, phrase interrogative : mais qu'a-t-elle dit ? Ensuite de nouveau l'opposition entre Hermann tourné vers la vie, et Hugo tourné vers la mort. En parlant de mort, remarquez que par deux fois maintenant Hugo a parlé de sommeil plutôt que de mort.
Enfin, les deux dernières strophe opposent le romantisme désespéré de Hermann à l'espoir pieux de Hugo, avec une strophe pour chacun. Dans la première, le ciel rayonnant invite à penser que nous sommes bien un soir de Lune ( Lune qui a invité cette invitation ;-) , les douces flammes sont les étoiles de la première strophe. Puisque les bois s'effeuillent, c'est donc finalement que nous sommes en Automne ( et en effet, le poème porte la mention d'Octobre 1853 ). Dans la dernière strophe, où Hugo parle, c'est encore l'idée du sommeil qui est mêlée à celle de la mort, puisque c'est comme à travers un rêve que les morts entendent nos voix.

C'est sur ces paroles que je vais moi-même aller dormir, rêver peut-être...

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