vendredi 28 décembre 2007

Platon n'incite pas forcément au platonique


La Toilette de Cythère, par Félicien Rops

Ce soir nous revenons à Hugo, pour apprécier un de ses petits poèmes légers tiré des Chansons des rues et des bois. Il va nous montrer que d'austères lectures n'induisent pas forcément à l'austérité ;-)

A ce propos, l'expression «amour platonique» nous vient du Banquet de... non, pas Xénophon, mais Platon ! Le thème global du dialogue y est l'amour, dont la vision socratique, hum ! pardon : platonique de l'amour est dite par Socrate... et illustrée par Alcibiade qui nous raconte comment après avoir croyait-il chauffé à blanc Socrate en fut Gros-Jean comme devant. Je vous livre en amuse-gueule sa conclusion de cette histoire :

Après ces propos, je le crus atteint par le trait que je lui avais lancé. Sans lui laisser le loisir d’ajouter une parole, je me lève, enveloppé de ce manteau que vous me voyez, car c'était en hiver, je m’étends sous la vieille capote de cet homme-là, et, jetant mes bras autour de ce divin et merveilleux personnage, je passai près de lui la nuit tout entière. Sur tout cela, Socrate, je crois que tu ne me démentiras pas. Eh bien ! après de telles avances, il est resté insensible, il n'a eu que du dédain et que du mépris pour ma beauté, et n'a fait que lui insulter ; et pourtant je la croyais de quelque prix, ô mes amis. Oui, soyez juges de l’insolence de Socrate : j'en atteste les dieux et les déesses, je me levai d’auprès de lui tel que je serais sorti du lit de mon père ou de mon frère aîné.

Au sujet de cette anecdote, il me semble que d'après Diogène Laërce c'était Diogène le Cynique qui s'en gaussait ( je n'ai pas mon édition sous la main pour contrôler mon attribution) en disant à raison que si Socrate n'avait pas envie d'Alcibiade il n'avait pas eu grand mérite à résister à ses avances, et que s'il en avait envie, il était bien stupide de leur avoir résisté... Mais trève d'hellénisme, volons vers notre papy Hugo et son poème :

Interruption à une lecture de Platon

Je lisais Platon. – J'ouvris
La porte de ma retraite,
Et j'aperçus Lycoris
C'est-à-dire Turlurette.

Je n'avais pas dit encor
Un seul mot à cette belle.
Sous un vague plafond d'or
Mes rêves battaient de l'aile.

La belle, en jupon gris-clair,
Montait l'escalier sonore ;
Ses frais yeux bleus avaient l'air
De revenir de l'aurore.

Elle chantait un couplet
D'une chanson de la rue
Qui dans sa bouche semblait
Une lumière apparue.

Son front éclipsa Platon.
O front céleste et frivole !
Un ruban sous son menton
Rattachait son auréole.

Elle avait l'accent qui plaît,
Un foulard pour cachemire,
Dans sa main son pot au lait,
Des flammes dans son sourire.

Et je lui dis (le Phédon
Donne tant de hardiesse !) :
- Mademoiselle, pardon,
Ne seriez-vous pas déesse ?

14 août 1859

Appréciez en sus du caractère gentiment ironique vis-à-vis des classiques grecs du dernier vers le frais mélange entre la haute culture antique à laquelle renvoient Platon, le Phédon et Lycoris, et la fraîcheur du monde quotidien incarnée par une turlurette chantant un couplet d'une chanson à la mode.
Le Phédon est un très beau dialogue de Platon qui relate les derniers instants de Socrate et discours de l'âme et du corps. L'Apologie de Socrate et le Criton le rejoignent quant aux évènements auxquels ils se relient. Eux aussi sont très beaux et valent d'être lus. Ce sont peut-être les dialogues de Platon parmi les plus immédiatement accessibles et les plus intéressants avec, justement, Le Banquet.
Pour identifier Lycoris, je vous renvoie à deux pages qui furent mes sources et qui détaillent bien les choses : ici et . Cette coquine de Lycoris n'ayant pas eu pour amant la lie de Rome, Hugo ne se méprise pas exagérément en tentant de draguer celle-là ! ( mais quand on est Hugo, on peut ! ;-) Le contraste avec une turlurette, c'est-à-dire une grisette, c'est-à-dire une jeune ouvrière se laissant facilement courtiser, est à la fois joli et pas tout à fait un, puisque notre mime Lycoris était aussi nommée Cytheris, nom qui évoque Cythère, île de Vénus et je vous laisse en imaginer les implications, et justifie le choix de l'image de cette note ;-)
Puisque l'on parle de Vénus, concluons de façon légèrement grivoise, en notant que le mot poétique ( si si !) de «cyprine» employé pour désigner la lubrification vaginale suscitée par d'amoureux transports ( ou quelqu'activité solitaire ;-p provient du nom Cypris donné à Vénus, celle-ci possédant un temple à Chypre, île près de laquelle elle serait née. ^_^

Aucun commentaire: