dimanche 11 novembre 2007

"La Lune brille, mais il est triste de la voir disparaître derrière les monts"


Aujourd'hui, je vous présente un des chefs-d'oeuvre de la littérature classique japonaise: le Hôjôki ( 方丈記), littéralement quelque chose comme Le Journal des 10 pieds-carré. En France on le trouve sous le titre Notes de ma cabane de moine chez Gallimard dans la collection Connaissance de l'Orient édité avec les Heures oisives d'Urabe Kenkô.

L'auteur de cet ouvrage, achevé en Mars 1212, est Kamo no Chômei ( 鴨長明), aussi connu sous le nom de Kamo no Nagaakira ( 1155-1216). Prêtre bouddhiste, il est privé très jeune du soutien de son père par la mort de celui-ci, et n'a dès lors plus grande chance de «faire carrière». Après d'autres revers de fortune du même ordre, il finit par se retirer dans un ermitage vers 1204, puis dans une cabane de 10 pieds-carré qu'il se contruisit dans les montagnes près de Kyôto ( capitale de l'époque). Vous comprenez maintenant maintenant l'origine du titre ^_^


L'ouvrage est divisé en deux parties. La première est le récit des troubles du temps, qu'ils soient civils (époque de conflits et de révoltes) ou naturels (grand tremblement de terre en 1185) et leurs conséquences sur le monde des hommes. Cette première partie est une illustration du concept bouddhiste d'impermanence ( 無常 mujô en japonais, anitya en sanskrit, anicca en pâli), selon lequel toute chose est transitoire et vouée à disparaître.

Dans la deuxième partie, Kamo no Chômei décrit sa vie érémitique dans sa cabane. Il y exalte une vie simple et paisible, retirée des troubles du monde. On sent toutefois poindre ça et là la tristesse de l'auteur à ne pouvoir atteindre le plein renoncement, ou à pouvoir mettre en accord ses actes avec son idéal de vie bouddhiste.


C'est un livre court à lire, simple et beau, bien que la traduction française me semble un peu douteuse par endroits ( la traduction est ancienne et réalisée par un révérend père, ce qui semble transparaître de loin en loin...). Je vous en ai trouvé une version anglaise ici, mais je ne sais pas ce qu'elle vaut (et il semble manquer une phrase à la fin ? ): http://www.washburn.edu/reference/bridge24/Hojoki.html . J'ai découvert ce livre d'une manière originale: par un extrait dans le résumé d'une autre grande oeuvre japonaise dont j'aurai l'occasion de vous reparler, le Genji monogatari ( 源氏物語). Pour moi ces deux livres sont parmi les oeuvres les plus sublimes de la littérature mondiale.

Pour conclure ce sujet, je vous propose le passage ouvrant l'ouvrage en VO et dans deux traductions. Il me fait penser à cette thèse d'un philosophe antique grec, dont le nom ne me revient hélas absolument plus en ce moment mais qui figure dans le Diogène Laërce ( ça donne quand même un indice donc ^_^, ), selon laquelle la vie c'était le mouvement, et qui invoquait l'image de la rivère vive à l'appui de celle-ci. Mais ici, c'est bien sûr du mujô dont il est question ;-)


La VO, c'est du japonais classique, alors il est normal que ça vous paraisse... bizarre ;-) (le première caractère se lit «yu» de «yuku»)


行く川のながれは絶えずして、しかも本の水にあらず。よどみに浮ぶうたかたは、かつ消えかつ結びて久しくとゞまることなし。世の中にある人とすみかと、またかくの如し。


Après je vous propose la traduction de l'édition française par le R.P Sauveur Candau. Elle colle au plus près au texte original. Ca ne fait peut-être pas très beau en français, a fortiori par rapport à l'original en japonais classique, mais demeure toujours la force de l'image, non? (cet «ici-bas» que vous verrez pour traduire 世の中 yo no naka «au sein du monde» est justement une des choses qui me gênent et sentent le révérend père... ).


«La même rivière coule sans arrêt, mais ce n'est jamais la même eau. De-ci, de-là, sur les surfaces tranquilles, des taches d'écume apparaissent, disparaissent, sans jamais s'attarder longtemps. Il en est de même des hommes ici-bas et de leurs habitations.»


Et une traduction de René Sieffert, qui adapte un peu, mais sonne bien plus joli en français:


«Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n'est jamais plus la même eau. L'écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissipe tantôt se reforme, et il n'est d'exemple quelle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde [= yo no naka].»

2 commentaires:

Anonyme a dit…

veillez à stoper vos réflexes anti-cléricaux... la version du RP vaut très largement la seconde version proposée. un peu d'honnéteté intelectuelle ne nuit pas un bon raisonnement.Jean B

Hokutoki a dit…

Je vais vous répondre en deux points.

1. Premièrement, je n'ai pas dit que la traduction du R.P. Candau ne valait rien. D'une part, j'ai dit qu'elle collait au plus près au texte original, ce qui est pour moi plutôt une qualité quand je veux me faie une idée de celui-ci. Mais ce faisant, le résultat n'est pas toujours très élégant en français, car cela nécessiterait de réaliser une adaptation en plus d'une traduction, ce qui m'a paru peu fait par le R.P. Candau, et a entraîné l'autre part de mes dires, à savoir que ce n'était peut-être pas très beau en français, et vous avez le droit d'être d'une autre opinion à ce propos. Vous me direz où là-dedans se trouvent des réflexes anti-cléricaux. ce qui nous amène au deuxième point.

2. Puisque vous parlez d'honnêteté intellectuelle, je vous enjoins à en faire preuve à votre tour. L'objet de votre message est-il vraiment ce que vaut la traduction du R.P. Candau, ou n'est-ce pas plutôt que vous considérez vos fortes convictions comme heurtées parce que je me serais permis de critiquer un révérend-père ?
Je trouverais dommage que vous confondiez ce qui est de l'ordre de la foi avec ce qui est de l'ordre de la traduction littéraire...

De plus, je suis au regret de vous dire qu'il y a bien un contresens dans la traduction de yo no naka, contresens qu'il n'est pas trop dur de relier à l'engagement chrétien du traducteur. J'ai fait des recherches figurez-vous. «Ici-bas» est un terme qui appartient au champ sémantique du christianisme, PAS du bouddhisme. C'est donc une erreur de le faire apparaître dans la traduction d'un texte d'inspiration bouddhiste. Si vous avez d'autres sources que vous pouvez me citer et qui justifieraient l'emploi du terme «ici-bas» dans un contexte bouddhiste, je ferai amende honorable sur ce point, et sur ce point seul, et je m'engage à publier une note rectificative le cas échéant. Cela devrait vous satisfaire quant à l'honnêteté intellectuelle ; pour les confusions que vous faites, je ne puis hélas rien pour vous. En retour, j'espère que si vous ne trouviez rien qui aille dans un autre sens quant à la traduction de «yo no naka», vous aurez l'humilité de le reconnaître dans ces commentaires...